Les guerriers de l’hiver, Olivier Norek


Le Combat d’hiver
Cher monsieur Norek,
Je ne vous cacherai rien : lire votre livre n’a pas été facile. Ce fut une expérience
dure et immersive. Vous nous racontez l’histoire de la Guerre d’Hiver. Or ouvrir et lire
votre livre ce n’est pas lire la guerre. C’est la vivre.
Les mots sur le papier ne tardent pas à devenir autre, un décor s’érige au fil des
pages.
D’abord une forêt, un renard, un rayon de soleil. Le silence verdoyant de la forêt et les
mille empreintes de pas, le son feutré de petites pattes galopant dans les bois. La nature.
Puis l’environnement change. Je quitte la clarté finlandaise et plonge dans les
couloirs sombres des bureaux de l’État. Parmi les personnages, je ne semble être qu’une
ombre qui se promène, apercevant ici une table à la longueur infinie, là une série de
portraits à la même effigie sanglante. Je m’efforce d’être aussi silencieuse qu’une souris.
Une souris blanche dans tout ce rouge. Plongée dans la pénombre, j’assiste aux
négociations, aux stratégies et manoeuvres politiques. Recroquevillée dans mon coin,
j’observe les coulisses du massacre.
Brusquement, je me trouve projetée face contre terre, la bouche pleine de neige et
de cendres. Face à moi, des fermes en feu. Soudain le premier coup résonne, mon
estomac sursaute, je vois un homme tomber. « Il faut toujours un premier mort », nous
dites-vous.Tout se bouscule autour de moi, on se presse, on piétine, on a peur. Moi aussi
je panique, j’attrape mon fusil précipitamment, et sans même viser, je tire dans le tas, à
l’aveuglette.
Alors débutent les embuscades, les pièges et les longues marches à perdre
haleine. L’Horreur nous court après et nous force à tuer, surtout Simo qui sait si bien tirer.
Il apprend peu à peu à rester de longues heures sans faire le moindre mouvement. Le
jeune homme, peu à peu, devient une légende, un tireur d’élite forgé contre son gré. Et à
mesure que les animaux vident les forêts, les combats les emplissent et les feuilles
rougissent. Pourtant Simo n’oublie pas ce que cela fait de vivre dans un pays en paix. La
Mort Blanche, comme on le nomme, nous rappelle l’importance de la sérénité.
Je me retrouve bientôt à courir au milieu d’arbres enneigés, le gel s’accroche
désespérément aux branches, oreilles, doigts : il faut tout couper. J’entre dans l’hiver.
Chaque jour, on attend des nouvelles de la famille ; la nuit, c’est seulement l’insomnie qui
nous rend visite.
La guerre, encore, durant des jours, des semaines, des mois, jusqu’à la trêve. Je
ne comprends pas quand ça s’arrête, je veux encore me battre, au corps à corps, jusqu’à
la mort.
Lorsque le livre se referme, je me sens comme un animal blessé. Mes oreilles
bourdonnent et le monde est comme assourdi. Je ne respire plus que l’odeur dégagée par
les cadavres en décomposition. Le goût du sang coule sur ma langue. Mon corps est froid,
je ne sens plus vraiment ce que touchent mes doigts, peut-être moi, peut-être pas. Le gel
a enveloppé mon coeur devenu insensible. Après tout ça, mes yeux sont morts de fatigue,
il se ferment, engourdis, mais lorsque je reprends pied sur le sol, la réalité force mes
paupières à se relever et je me retrouve à nouveau dans mon corps : humaine du XXIe
siècle.
Grâce à votre livre, monsieur Norek, j’ai appréhendé la guerre sous toutes ses
coutures, je me suis familiarisée avec elle et me suis plongée corps et âme dans ce
carnage des plus total. J’ai éprouvé toute la dimension animale que l’on peut y trouver.
Pour m’avoir fait changer de peau, merci.
Laïna